2009

Mourir ? Plutôt crever !

Un film de Stéphane Mercurio
Langue : Français
Son : Stéréo
Format : Digital Betacam, Betacam SP, Vimeo, Fichier numérique, Bluray, DCP, HDCAM
Versions disponibles : VFR

À 80 ans, Siné, continue le combat. Il n’a jamais faibli, ses rages sont celles de ses 20 ans. Viré de Charlie Hebdo, il rebondit en créant Siné Hebdo. C’est au fil de cette aventure qu’il raconte ses combats passés. Athée, anti-flics, anti-armées, anticolonialiste, ami des chats, fou de jazz et de salsa. Le dessinateur a pris fait et cause pour les Algériens pendant la guerre d’Algérie, a fait de Malcolm X le parrain de sa fille, s’est lié d’amitié avec Prévert… Il s’est toujours engagé, s’est parfois trompé, le reconnaît volontiers. Sa férocité, il la tient de son immense tendresse pour tous les opprimés. Alors, il rage contre les nantis de tous poils.

L’homme du « journal mal élevé » a de sacrés principes.

Préambule

Fin 2007, je me préparais à filmer Siné…

Le premier tournage, en décembre 2007, fut l’achat d’une concession avec sa femme (ma mère) et Benoit Delépine au cimetière Montmartre. L’idée, partager sa tombe avec une trentaine d’anars, de provocateurs  ! La scène a un parfum de comédie italienne…

Siné au cimetière

En 2007, Siné reste un rebelle de 79 ans. Intègre. Le temps ne l’a pas tiédi. Il est pourtant fatigué. Il tient une rubrique régulière dans Charlie Hebdo depuis près de 15 ans mais sa vie s’écrit plutôt au passé  : ses rencontres avec les grands du siècle  : Prévert, Malcolm X, Fidel Castro, Ben Bella, Jean Genet ou Picasso… La création de Siné Massacre en 62 ou de L’Enragé en 68  ; ses engagements pour L’Algérie ou les causes perdues. Et puis, cette chronique en juillet 2008, dans Charlie Hebdo sur le fils Sarkozy qui par arrivisme, allait se convertir au judaïsme pour épouser une milliardaire…Et l’accusation d’antisémitisme.

L’homme en colère, mène la bataille. A 80 ans, sous oxygène, boycotté par les médias traditionnels, le dessinateur, soutenu par 30 000 signataires sur internet, avec l’aide de sa femme, le soutien de Guy Bedos, Gisèle Halimi, Michel Onfray, Edgar Morin, Plantu et bien d’autres encore, va faire face à un procès et créer Siné Hebdo dans la foulée. Il fonde le journal avec 2 400 euros, transforme son salon en salle de rédaction et sa salle à manger en maquette. Les 140 000 exemplaires du premier numéro partent en quelques heures.

Les anticolonialistes, anarchistes, gauchistes de tous poils se fédèrent autour de lui avec internet. Le phénomène le dépasse. Il incarne la résistance contre le politiquement correct qui s’abat sur l’hexagone. A son procès, à Lyon, ses détracteurs soutiennent que Desproges ou Reiser n’auraient plus droit de cité. Le jugement affirmera l’inverse. Pendant toute cette période, j’ai filmé auprès de lui. Je l’ai filmé combatif comme je l’avais connu autrefois, ne baissant jamais la garde, n’ayant peur de rien, injuste parfois, de mauvaise foi souvent, mais aussi généreux, tendre, drôle, fragile… Ce dernier combat éclaire ceux du passé. Tout au long de sa vie, cet anar aura collectionné les poursuites judiciaires, non sans une certaine fierté  : offense au Président de la République, c’était sous De Gaulle, injure publique envers l’armée, diffamation envers la police. Roland Dumas, le défendra en 1963 - outrage aux mœurs - pour un dessin paru dans Siné Massacre,

➞ Comme ils ne pouvaient pas me coincer sur l’Algérie, ça aurait fait trop de barouf, ils m’ont poursuivi pour un dessin de cul. Il est aussi poursuivi dans les années 90 - pour propos antifrançais ! - tenus lors d’une émission télévisée consacrée aux anciens combattants  ! La fin de l’histoire, tous la connaissent, le procès le lave de l’infamie et Siné Hebdo dépasse dès son premier numéro les ventes de son concurrent Charlie Hebdo.

L’anar devient un symbole  !

Le film est fait de cette année incroyable en y mêlant ses souvenirs, ses dessins, la musique. Les aller-retour entre passé et présent construiront par petites touches un portrait cohérent d’un homme intègre plein de contradictions. D’un artiste aussi. Le point de vue est intime. Pas de procès à charge ou à décharge. Pas de point de vue «  sur  ». Mais des échanges, des disputes, des histoires, des amitiés... Siné n’a jamais trahi, même s’il avoue s’être beaucoup trompé - il s’est fait expulsé de Cuba, a eu un procès en Chine, est déçu par le FLN...

Et pourtant, il recommencerait à l’identique.

Ses engagements d’hier, sont ceux d’aujourd’hui. Au fond, il n’a jamais changé. Pour son combat à coups de crayons, il a inventé un style. Sa férocité, il la tient de son immense tendresse pour tous les opprimés. Alors, il rage contre les nantis de tous poils. L’homme du «  journal mal élevé  » a de sacrés principes.

Stéphane Mercurio - Janvier 2010

Reprenons : à propos de Siné

Maurice Albert Sinet dit Siné, est né le 30 décembre1928 à Paris. On connaît le jour de sa conception. Dans son épicerie buvette, Fabienne dite « Fafa », sa mère, fête son anniversaire. Elle se laisse conter fleurette par un client aux allures de Jean Gabin. Quand l’enfant naît, neuf mois plus tard, de dépit, sa mère dit au médecin de choisir lui-même le prénom de l’enfant. Il s’appellera Maurice comme lui. Finalement « Fafa » lui donnera comme petit nom : Bob.

Elle divorce de Sinet pour épouser Versy, le Gabin de son épicerie, le père de Siné. L’homme, ferronnier d’art, un dur à cuire que le petit Bobby ira récupérer dans les bistrots est le héros de son enfance. Il jure avoir tué plus d’officiers français que de soldats allemands à la guerre de 14/18. Bob fait semblant de croire ce paternel qu’il adore. Il est fier de cet homme tatoué qui devient ivre de rage à la vue d’un képi. Bob Siné restera à tout jamais fidèle à son père, à ses origines prolétariennes, au camp des opprimés.

Bob passe son enfance entre Belleville et Barbès. Ses premiers émois sexuels datent de l’exode. Il a 12 ans. Le cul entre dans sa vie et restera, avec la musique et la politique, l’une de ses grandes passions. Il entre à l’Ecole Estienne en 1942, il a 14 ans. L’élève met ses talents à fabriquer de faux tickets de ravitaillement sur les conseils de ses professeurs. (Il fabriquera ainsi de faux papiers pendant la guerre d’Algérie). À sa sortie de l’école, il gagne sa vie en ôtant les poils de photos cochonnes. Il fait du cabaret et participe un temps au groupe Les garçons de la rue. L’armée, il la passe en cellule. À son retour du service militaire, déjà père de famille, il doit gagner sa vie. Il admire trop les musiciens pour en faire son métier. Il découvre les dessins de Steinberg. Il s’entraîne, copie et recopie. Petit à petit, il trouve son style. Ses personnages lui ressemblent un peu.

Son premier dessin publié et payé date de 1950, dans France Dimanche.

En 1955, il obtient le Grand Prix de l’Humour noir pour son recueil Complaintes sans Paroles. Préfacé par Marcel Aymé.

C’est sa série de dessins sur les chats qui le lance définitivement, il entre alors à L’Express comme dessinateur politique.

Anti-colonialiste, pendant la guerre d’Algérie, il suscitera souvent la polémique. Il remplacera brièvement François Mauriac au « bloc-notes » du journal lorsque ce dernier devra s’absenter pour raison de santé. Ce « débloque-notes » vaudra à L’Express de nombreuses lettres indignées de ses lecteurs et obligera Jean-Jacques Servan-Schreiber à publier une lettre d’excuses en première page du journal.

Il quitte L’Express en 1962 pour créer son propre journal Siné Massacre où il exprime sans retenue son anti-colonialisme, son anti-capitalisme, son anti-cléricalisme et son anarchisme.

Auteur de quelque trente recueils, d’affiches de cinéma – (par exemple America, America d’Elia Kazan), de décors de théâtre (Ionesco, entre autres), de cartes postales, de dessins animés publicitaires. Il illustre Arnaud, Vian, Sternberg, Roland, Jarry, Alphonse Allais, Hippocrate aussi bien que Le Code pénal et dessine un jeu de cartes. Après Siné Massacre en 1962, il fonde L’Enragé en mai 1968. Participe à Hara-Kiri. De 1981 à 1987, il est l’un des caricaturistes de l’émission télévisée Droit de Réponse. Puis il rejoint l’équipe de Charlie Hebdo où « il sème sa zone » pendant quinze ans. Grand amateur de jazz, il a illustré de nombreux livres sur le jazz, ainsi que des pochettes de disques.

Il crée Siné Hebdo avec sa femme le 10 septembre 2008 et s’apprête à fêter ses 81 ans.

LETTRE À SINÉ PAR « FILOCHE »

15 ans de vacances, 15 ans d’engueulades. Ça a commencé dans les années 90, du côté des Sainte-Maries de la Mer, puis un bon bout de temps en Corse, puis dans le Vaucluse, en Ile-de-Ré, puis encore du côté de Vaison-la-Romaine… Mais Bob ne voulait rien savoir, les « socialos » n’étaient pas de gauche ! Pourtant aussi bien quand j’étais à la Ligue que lorsque mes amis et moi sommes passés au PS, ce n’est pas faute d’avoir essayé de lui expliquer ce que c’était qu’un parti, sa nature, son histoire et sa base sociale… De vives soirées. Chaudes. Arrosées. Juillet. Août. Jusque tard le soir. Très tard dans la nuit. À ne plus en voir les étoiles. « Pourquoi ces cons, ils votent encore pour ce parti qui ne change rien, qui trahit ? » « Mais Bob tu ne vas pas dire qu’il y a 15 millions de cons… sauf toi, et que tous se trompent sauf toi… ? » « Si, faut la révolution, y’en a marre de se laisser avoir et c’est pas avec ces cons-là que ça va changer ! ». Je lui rappelais benoîtement que je l’avais rencontré un jour de novembre 1988 à un repas des parrains de SOS Racisme et que je l’avais vu serrer la paluche de Mitterrand ce jour-là. Je lui rappelais que les 40h, les 39h, les 35h c’était la gauche et les socialistes… Oui mais Bob, il n’en a rien à foutre des 35h, lui il travaille 30h d’un coup puis il boit un coup, fait la fête et recommence. Alors je lui disais que le droit du travail, le remboursement de l’avortement, l’abolition de la peine de mort, la parité, c’était la gauche avec les socialistes. Oui, mais Bob, le droit du travail ce n’est pas son premier souci, pour lui, et puis la peine de mort, il est pour contre les fachos et les cons, et la parité, c’est bidon… « Ces enfoirés, regarde, ils m’envoient des gars pour soutenir Val ; Delanoë ou Badinter, ils ont signé contre moi ». Ça c’est vrai, j’en suis pas fier, je me demande pourquoi ils se sont laissés entraîner là-dedans avec BHL et Albanel, ils ont perdu leur stupide procès inquisiteur d’antisémitisme… « Mais Bob, si tu veux battre Sarkozy, tu peux pas le faire sans voter socialiste au second tour, tu le sais bien »… « Ouais, mais ça m’emmerde, si tu savais, ça m’emmerde de voter pour ces cons ! Pourquoi ils en font pas plus s’ils se disent socialistes, hein ? » « Bien Bob, c’est vrai, ils devraient en faire plus, mais raison de plus pour discuter avec eux, leur dire, les influencer… » « Si tu bouffes du socialo tout le temps Bob tu ne feras rien avancer, on ne convainc pas en traitant les gens de cons » « Oui, mais il y a des pourris, t’as vu les affaires qu’ils traînent au cul ? » « Oui Bob mais Roland Dumas, tu l’aimes bien, il t’a défendu pendant la guerre d’Algérie. » « C’est vrai, mais t’as vu la gueule des Val et autres, ils me font gerber, quasi du Sarkozy… » Là, je ne dis rien, je défends les militants socialistes honnêtes, je défends la gauche du parti, j’explique qu’elle peut y prendre le pouvoir… Je raconte le dévouement des élus, pas tous pourris ! Mais Bob n’y croit pas, surtout quand la soirée s‘avance et que le nombre de bouteilles sur la table devient impressionnant. Y a toujours un moment où je craque. À la fois parce que le ton monte et que le niveau dans mon verre baisse. Alors immanquablement Bob en rajoute : « Mais toi t’es pas un socialo comme les autres, je le sais bien, mais ça prouve pas que les autres soient bons ». « Je vote plus pour eux » dit Bob. « Arrête Bob, dit Catherine Sinet, tu dis toujours ça, puis tu vas quand même voter pour eux… » Oui, c’est ça finalement, on est des millions comme Bob….

Gérard Filoche

La presse

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