SLON/ISKRA

ISKRA (Image, Son, Kinescope et Réalisations Audiovisuelles, « étincelle » en russe), société indépendante de production et de diffusion, c’est aujourd’hui un catalogue de plus de 160 films.

ISKRA, c’est à l’origine l’histoire de Slon (Service de Lancement des Œuvres Nouvelles, « éléphant » en russe) . Et « Slon est né d’une évidence : que les structures traditionnelles du cinéma, par le rôle prédominant qu’elles attribuent à l’argent, constituent en elles-mêmes une censure plus lourde que toutes les censures. D’où Slon, qui n’est pas une entreprise, mais un outil – qui se définit par ceux qui y participent concrètement – et qui se justifie par le catalogue de ses films, des films QUI NE DEVRAIENT PAS EXISTER ! »

Ce Manifeste qui date de 1971, trois ans après la fondation de la coopérative (née pour produire Loin du Viêt-Nam et À bientôt j’espère, deux œuvres collectives menées par Chris Marker), trente ans après ISKRA peut toujours le revendiquer – même si les conditions de la lutte ont évolué. Après tout, les sources de la production et les canaux de diffusion sont-ils maintenant plus ouverts à la différence, à la contestation salutaire, à la projection de vérités soigneusement enfouies ? Ne s’agit-il pas en 2002, encore avec des images et des sons, de « témoigner, favoriser la réflexion, donner la parole à des groupes minoritaires, en difficulté ou en conflit », en un mot affirmer pour tous un droit inaliénable à l’image ? Ne s’agit-il pas, hier comme aujourd’hui (et demain aussi, tant que l’oppression demeure), de faire chambre d’écho aux luttes de Besançon et de Santiago du Chili, de rendre compte de situations critiques au Val Fourré, dans les campagnes françaises, au Liban ou à l’usine Moulinex de Mamers, de fonctionner comme haut-parleur (« … on ne peut pas lutter à voix basse… ») pour dénoncer les scandales du nucléaire ou du distilbène, de servir de refuge et de chambre noire à des expériences sans équivalent dans le cinéma, toujours à découvrir pour ne pas désespérer d’un art si souvent détourné et domestiqué : Le Moindre Geste de Fernand Deligny, Josée Manenti et Jean-Pierre Daniel exemplairement, mais aussi Lettre à mon ami Pol Cèbe de Michel Desrois et Le Traîneau-Échelle de Jean-Pierre Thiébaud, deux films aux confins du cinéma militant, émanations singulières des « Groupes Medvedkine », fruits sans précédents d’une greffe réussie entre une structure de production parisienne et des cinéastes-ouvriers de province.

Classe de lutte, 1969
Premier film réalisé par les ouvriers du Groupe Medvedkine.

Loin de l’humanisme de salon mais développant une logistique à taille humaine adaptée aux réalités mouvantes du terrain, filmant en 16 mm et en vidéo, plus pragmatique que dogmatique, Slon-ISKRA part toujours d’un état du social et du politique, chaque sujet inventant alors la forme qui lui convient, celle que le sujet exige. Car ISKRA (influence originelle de Marker ?) a ceci d’original qu’elle considère l’esthétique comme une politique, la forme comme une nécessité et une force. C’est ce point de vue documenté sur les choses qui signe les films-ISKRA et laisse une trace dans les esprits, c’est cette ouverture qui donne les contours du catalogue, c’est cette exigence qui en fait la valeur. Au générique du Fond de l’air est rouge, Marker rend hommage aux « innombrables cameramen, preneurs de son, témoins et militants dont le travail s’oppose sans cesse à celui des Pouvoirs, qui nous voudraient sans mémoire. » Ce travail, depuis le début, c’est aussi celui d’Iskra.

Bernard Benoliel, « Entre Vues », Festival de Belfort 2002