
INTENTION DE LA RÉALISATRICE CHRISTINE SUCCAB-GOLDMAN
Paris, décembre 1994
Une caméra amateur dans le métro, quelques notes intimes à propos de deux photos jaunies. « Elle m’appellait Naïny, elle disait que mon patronyme était peul … Elle venait du Mali et moi de Guadeloupe … » Une chanson dans la tête, la perspective d’un voyage au mali, toutes ces réminescences sont les prémices du film.
Bamako, mars 1995
Les notes du journal intime s’égrennent tout au long du film telles une voix intérieure. La réalité estompe peu à peu les souvenirs d’autrefois. C’est le début d’une autre amitié avec une malienne d’aujourd’hui. Par elle, il y a tant d’autres maliennes à découvrir. Elles sont gracieuses en effet, elles irradient la force d’où qu’elles viennent et de quelque milieu qu’elles soient, leur langueur n’est que la face pudique de leur dynamisme, elles prennent le temps de l’élégance et de l’endurance. Elles sont ce mélange de modernité, de tradition et d’humour discret. Seydou Keita, le photographe, fixe depuis 1945 leur image sur ses clichés. Ses photos rythment chacune des séquences du film où ces femmes laissent percevoir en toutes sincérité un peu d’elles-mêmes. L’histoire a laissé des traces vives dans leur mémoire : l’Indépendance, les relations avec les pays de l’Est, les évèements sanglants de 1991 où elles ont dû affronter les armes des militaires pour faire tomber un dictateur et vivre l’expérience de la démocratie …
Christiane Succab-Goldman

TEXTE DE ANNE-MARIE CROZELIER sociologue, secrétaire générale du laboratoire social
Que sait-on de l’Afrique ? Peu de choses, des flashes, presque des faits divers qui viennent rompre épisodiquement le silence qui l’entoure : les massacres du Rwanda, le SIDA, les famines en Ethiopie, le débarquement américain en Somalie, les massacres d’éléphants au Kenya, la dévaluation du franc CFA, sans oublier les frasques d’un Amine Dada ou d’un Bokassa, encore présentes dans nos mémoires.
Qui raconte l’Afrique aujourd’hui ? Après les explorateurs, les missionnaires, les ethnologues, les ONG, les membres du Peace Corps, les experts du F.M.I., ceux de la Banque Mondiale, les femmes africaines commencent à faire entendre leur voix ou plutôt à prendre la parole pour raconter l’Afrique.
“La parole des femmes africaines est beaucoup plus tonique, plus revendicative qu’on pourrait l’imaginer, même si leur manière de dire les choses ne ressemble pas à celle des occidentales ”, remarquait Suzanne Kalalobé, journaliste.
Longtemps silencieuses et ignorées, les femmes africaines commencent à apparaître au grand jour dans tous les pays du continent africain.
“Le potentiel de travail, de création, d’innovation des femmes en Afrique est fantastique. S’il était libéré il deviendrait fabuleux ” a dit un jour René Dumont. La femme serait-elle l’avenir de l’Afrique ? Quel paradoxe quand on sait ce qu’est encore leur lot commun : mariage forcé, polygamie, excision, analphabétisme, quasi-esclavage dans certains cas, etc… Quand on évoque tous les blocages économiques, sociaux, culturels, et religieux qui se conjuguent pour empêcher les femmes, plus particulièrement en milieu rural, de s’émanciper et de s’opposer à la dégradation de leurs conditions de vie depuis une vingtaine d’années.
Et pourtant, “les femmes sont le fer de lance contre la crise généralisée qui s’aggrave dans la plupart des pays d’Afrique ”. Ce sont elles qui permettent la survie de l’Afrique. Les femmes constituent le dernier rempart face aux errements de l’intelligentsia en place qui ne contrecarre pas - Quand elle ne les prolonge pas les erreurs de l’ordre néo-colonial et des dirigeants soutenus (si ce n’est mis en place) par l’ancienne puissance coloniale.
Ainsi, les femmes dans le Sahel ont assuré la survie grâce à leur épargne. Ailleurs les revenus de leurs champs d’ignames ont pu compenser l’effondrement des cours du cacao et du café. Enfin, action certes moins traditionnelles, elles ont ébranlé le gouvernement de Mobutu en manifestant avec leurs enfants et au Mali elles ont contribué à la chute de Mobido Keita par leur présence dans les manifestations et les émeutes.
S’il est vrai que l’éducation et la santé ont fait de grands progrès dans la plupart des pays d’Afrique dans les premières années de l’indépendance, cela n’a pas duré. Au contraire, les retards ou plutôt les écarts se sont accentués. On a bâti de somptueux hôpitaux en délaissant les dispensaires des campagnes et des bidonvilles. Les dépenses militaires grèvent les budgets alors que la santé publique exige de l’eau, des conditions d’hygiène minimales, des aliments de base. On a développé les infrastructures routières pour la voiture particulière mais les transports en commun végètent. La question des transports, vitale pour le développement économique, demeure le maillon faible. Bicyclettes et surtout charrettes font défaut. une fois de plus, les femmes sont là pour y suppléer. Elles assurent le partage des marchandises. Ne disposant pratiquement d’aucun outil, sauf dans certains pays comme le Cameroun, le Sénégal et le sud du Mali où on peut en voir quelques unes utilisant des charrettes à bras, elles portent sur leur tête le bois, l’eau, les graines, les récoltent. Derrière l’image d’Epinal de l’Africaine au port de tête somptueux transportant une calebasse ou un extraordinaire empilement, c’est le cœur de l’Afrique qui circule.
Il aura fallu du temps au F.M.I. et à la banque mondiale pour admettre qu’elles constituaient les forces vives du développement sur lesquelles il fallait s’appuyer, les entrepreneurs sur lesquels il faillit investir. Le monde des experts internationaux en costume cravate, masculin et quelque peu machiste qui avait déjà si bien du mal à surmonter son double préjugé, accepter de parler finance avec les femmes non intégrées dans les circuits économiques officiels pour la plupart sans formation pour ne pas dire analphabètes et ne parlant souvent que leur langue.
Derrière les maliennes de notre film se profilent ces femmes africaines qui chacune avec leur spécificité, veulent prendre toute leur place dans la société d’aujourd’hui. Certes, le film les présente dans une démarche surtout individuelle mais ce qui fait leur force c’est aussi et surtout la dimension collective de leur action, ce sont leurs associations. Que ce soit chez les Peuls, les Bambaras, les Mossis, les Dagaris, les Bantous et les autres peuples sub-sahariens, les femmes s’organisent dans un univers qui leur est propre, bien réelle mais qui échappe en grande partie aux hommes. Certains ont pu dire qu’elles constituaient une quasi-économie parallèle qui, en fait, permet la survie de pays que le F.M.I. considère en faillite.
Derrière la légèreté des mots et une certaine distance teintée de pudeur, la gaieté, l’humour extraordinaire et cette grande sagesse du propos on devine la détermination de femmes qui revendiquent une place qu’elles ont choisie dans la société. On sent la détermination des femmes qui sont conscientes de leur rôle stratégique pour sortir leur pays de l’enlisement et voudraient revendiquer de participer aux leviers de commande de leurs pays.
11 septembre 1995
Anne-Marie Grozelier
LE MALI Rappel historique
Le Mali est le plus traditionaliste des pays de l’ouest-africain.
A cheval sur la zone sahélo-saharienne, il est d’une superficie de 1.241.021 Km2 enclavée entre la Mauritanie, le Sénégal, la Guinée, la Côte d’Ivoire, le Burkina Faso, le Niger et l’Algérie.
D’une grande diversité géographique, 9,1 millions d’habitants, le Mali présente des contrastes humains saisissants : c’est un carrefour d’ethnies et de cultures où se rencontrent et vivent en symbiose 95% de Noirs sédentaires, Bambaras, Peuls, Sénoufou, Dogon, Sarakolé, Minianka et Songhaï, cultivateurs pour la plupart et 5% de blancs, Maures, Arabes et Touaregs, nomades accrochés dans le Nord-Est à leur vie pastorale. Les bambaras forment le noyau le plus important de la population malienne, et leur langue est la langue majoritaire.
Après son indépendance, le pays a été gouverné par Modibo Keita qui croyait fermement au socialisme à l’africaine (1960 à 1968). Confronté à des difficultés économiques graves, au pourrissement de la situation au fil des années, l’armée le renverse. C’est ainsi que le Général Moussa Traoré se retrouvera au pouvoir de 1968 à 1991. Devenu seul maître du pays, il instaure un parti unique et refuse d’instaurer le pluralisme politique.
Le 21 Janvier 1991, une marche pacifique de l’Association des élèves et étudiants du Mali proteste contre le pouvoir dictatorial de Moussa Traoré. Les forces de l’ordre chargent la foule avec une violence inouïe provoquant de nombreux morts et blessés. Les femmes descendent massivement dans la rue aux côtés des étudiants, leurs enfants, et provoquent la chute du « lion ». Moussa Traoré est arrêté le 24 Mars.
Après un intérim assuré pendant un an par le colonel Amadou Toumany Touré qui s’est écarté volontairement du pouvoir, Alpha Oumar Konaré, historien ancien ministre de la culture, est élu Président de la République en Juin 1992. Depuis son arrivée et le retour à la démocratie, le statut des femmes s’est légalement modifié. Les réformes imposées parviennent-elles à soulager le taux d’analphabétisme et les conséquences qui s’ensuivent : la fécondité élevée chez les femmes, la faible productivité ? L’espoir renaît et on a le sentiment en arrivant que les gens ne voudraient pas se tromper une autre fois et que les femmes surtout marquent cette société de leurs empreintes à tous les niveaux.
EXTRAITS

KADY SANOGHO, éducatrice Les femmes font beaucoup de choses à Bamako, c’est-à-dire au Mali en général. Je pourrais même dire dans tous les pays africains. Elles sont à la fin et au début de tout, en fait. Parce que tout commence par elles. Pour la simple raison qu’elles sont consul-tées, mine de rien, pour tout. On a l’impression que les femmes sont en arrière-plan. Mais en fait, la femme n’a jamais été en arrière-plan. C’est vrai, même en brousse, elle n’a jamais été en arrière-plan. Parce que le patriarche, le chef de famille, quand on lui pose un problème, il ne prend pas la décision. Il dit : on en reparlera, c’est pour consulter sa femme. La première, ne serait ce que la première.

AMINATA TRAORE, sociologue Elles ne sombrent pas dans l’analphabétisme et ce n’est pas parce qu’elles ne savent pas lire et écrire qu’elles sont dans l’obscurité... C’est absolument faux. La plupart d’entre elles, je ne dis pas toutes les femmes, c’est comme partout dans le monde, elles sont pleines de sagesse. Et elles ont leurs références et elles appartiennent à des systèmes sociaux qui ont leur logique. Mais ce n’est pas en disant d’emblée : elles sont analphabètes donc elles ne savent pas, donc on va décider pour elles, donc leurs droits, c’est ça. D’ailleurs, leurs droits, elles ne savent pas. On va créer ceci, cela, y compris des cliniques pour leur dire ce que... mais c’est le droit de qui ? Qui a défini ces droits-là ? par rapport à quelle réalité ? Par rapport à quels projets de société ? Qui parle au nom des femmes afriçaines ? Ce n’est pas elles, en tout ças.

M’BAM DIARRA, avocate ( à propos des évènements de 1991) Les femmes voulaient en finir parce que ce jour-là, peut-être qu’un petit vent de folie a soufflé sur toutes les femmes du Mali et elles ont décidé de monter à Koubali. Ce jour là, on a nous a fait l’honneur de nous dire : " Les femmes devant ". Effectivement, nous étions devant parce que ces hommes qui nous disaient " Les femmes devant " s’étaient mis en tête que l’armée, compte tenu du grand respect qu’on a dans cette société pour la femme, que l’armée n’aurait jamais tiré sur les femmes. Bien que, et c’est ça le paradoxe, bien qu’elle soit considérée comme un être inférieure, la femme est considérée comme un être qu’on doit respecter. C’est pourquoi les hommes s’étaient mis en tête que l’armée n’aurait jamais tiré sur les femmes. Et nous, nous avions retiré nos foulards pour nous ceindre la taille et on marchait, on chantait. On disait en bambara : "Ante korole fe fo koura ", " On veut plus de l’ancien, il nous faut du nouveau ".
Il n’est pas rare de voir des femmes avec des traits tirés, des femmes qui souffrent de maux d’estomac, qui disent : “J’ai mal à l’estomac... J’ai mal au coeur”, c’est faux : elles ont une boule ici, c’est la jalousie qui les ronge et elles ne peuvent pas le montrer parce qu’on nous enseigne à dominer nos sentiments. On nous dit : il ne faut pas extérioriser et vous gardez tout au fond de vous jusqu’au jour où cette boule va vous étrangler et vous allez crever sur votre lit. Et les personnes qui vous ont dit de tout supporter vont venir jouer aux étonnées et dire : on ne savait même pas qu’elle était malade. Qu’est-ce qui lui est arrivé ? Pourtant, elle semblait heureuse. Elle semblait heureuse ? Mais la polygamie, c’est la pire des choses qu’on puisse imposer à une femme. C’est la pire des choses.

JEANNETTE DIALLO, sage femme Les filles qui se marient, qui ont été excisées, elles ont des problèmes au niveau, au moment de la nuit nuptiale avec leur mari. Leur mari ne peut pas les toucher. Alors on est obligé de faire appel, soit à un médecin gynécologue ou bien à une gynécologue ou bien à la femme qui assiste parce qu’en général, en Afrique, quand tu es mariée, la nuit nuptiale, tu as une femme, une vieille femme qui vient à côté de vous, pour vous initier, pour initier l’homme, pour initier la femme. Alors si l’homme maintenant fait appel à la vieille qu’il n’a pas pu toucher la fille, alors la femme en général elle amène une paire de ciseaux ou bien une lame pour faire la fente et ensuite, le mari s’approche de la fille.